L’Extrême-Occident

Il est nécessaire de mettre à part ce qui concerne le nord-ouest de l’Europe, c’est-à-dire l’ensemble des îles Britanniques, car le relatif éloignement de ces îles par rapport au continent a toujours contribué à la conservation d’un état d’esprit qui remonte aux époques préchrétiennes, au-delà même de la période celtique, état d’esprit qui se manifeste autant dans les coutumes que dans une tradition écrite ou orale particulièrement riche en éléments de réflexion. Ici, la vie spirituelle, tout imprégnée de christianisme qu’elle soit, apparaît très différente de celle du continent, et cela aussi bien chez les divers protestants que chez les catholiques, même si ces derniers affichent – du moins actuellement – une soumission sans faille à l’autorité romaine.

Ce qui surprend en Grande-Bretagne, c’est l’absence complète de lieux de pèlerinage à la Vierge Marie. Or l’anglicanisme, religion officielle du Royaume-Uni et dont la reine est le chef, n’a jamais rejeté le culte rendu à la mère de Jésus. Il est vrai que l’influence des calvinistes écossais, qu’on appelle les presbytériens, ainsi que celle des méthodistes gallois ont contribué à occulter la dévotion mariale, surtout au cours des troubles religieux des XVIe et XVIIe siècles, et la minorité catholique du pays, pourtant assez puissante, n’a pas réussi à inverser cette tendance : le culte de la Vierge s’est réfugié dans des coutumes populaires ancestrales et dans l’évocation d’un passé préchrétien.

On sait que les Celtes, occupants incontestables des îles Britanniques depuis au moins l’an 500 avant notre ère, ne bâtissaient point de temples et que leurs druides officiaient au milieu de la nature dans ce qu’on appelle le nemeton. On sait également qu’ils ne voulaient pas représenter la divinité par des figures anthropomorphiques et qu’ils se contentaient de formes symboliques ou géométriques, suivant en cela leurs prédécesseurs, les constructeurs de mégalithes qui représentaient la Grande Déesse funéraire en lignes courbes, concentriques ou spiralées sur les parois de nombreux tertres néolithiques. Il faut attendre la conquête romaine pour qu’apparaissent des temples en pierre et des statues représentant des divinités, lesquelles sont le résultat d’une synthèse entre les croyances locales et les formes empruntées à l’art méditerranéen. Car si les Romains n’ont pas vraiment conquis en profondeur l’île de Bretagne, ils y ont cependant laissé des vestiges très importants dans un style qu’on peut qualifier de britto-romain.

Les ruines britto-romaines les plus connues sont celles de Bath, ville thermale très fréquentée, l’ancienne Aquae Sulis qui avait été placée sous le nom d’une déesse Sul, assimilée à la Minerve gallo-romaine. Cette Sul, dont on a retrouvé des statues à Bath, est en fait le Soleil personnifié, du genre féminin comme il se doit dans les anciennes langues celtiques : son patronage des sources guérisseuses de Bath s’imposait donc, même si on a mêlé à ses fonctions principales la sagesse et la connaissance qui sont les attributs de Minerve. Tout semble s’être passé comme si l’on avait englobé sous cette appellation la Grande Déesse primitive, dispensatrice de chaleur, de fécondité, de vie par conséquent, et aussi de science.

Au sud du pays de Galles, à Caerleon-sur-Wysg (célèbre grâce aux romans de la Table ronde), l’ancienne Isca Silurum, position romaine stratégique au milieu du peuple des Silures, on retrouve également des vestiges britto-romains sur une très large superficie. Et là se dressait un temple à la déesse Némésis, résultat d’un curieux syncrétisme gréco-romano-celtique. En Grèce, Némésis était un des aspects fonctionnels, en l’occurrence la vengeance ou la justice immanente, de la Grande Déesse, quel que fût son nom. En île de Bretagne elle recouvrait sans doute le concept très abstrait de destinée, ce que les Grecs appelaient anangkê et les Romains fatum. Il semble que les occupants romains aient été très sensibles à cette notion de destin, sans doute à la suite de leurs contacts, tant cordiaux qu’antagonistes, avec les populations bretonnes et leurs spéculations métaphysiques. Car les sanctuaires dédiés à Némésis ne sont pas rares en Grande-Bretagne : on en trouve un à Chester, autre établissement romain important entre le pays de Galles et le nord de l’île, et ce sanctuaire est voisin d’un temple de Minerve, laquelle recouvre encore ici, semble-t-il, la totalité des fonctions de la divinité féminine.

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